Thomas Newman est chercheur. Il a étudié à l’Université de Leeds puis à l’Université Paris-Sorbonne. Il est l’auteur d’un mémoire de maîtrise et de DEA sur Jean Genet et Emmanuel Lévinas, dirigés par Denis Guénoun, soutenus en 2002 et 2003. Sa thèse porte sur les intertextes littéraires et philosophiques de Jean Genet et d’Emmanuel Lévinas. Elle a été soutenue à University College London en avril 2008, où il a enseigné, ainsi qu’à l’université de Rouen, de Paris III et à l’Université Américaine de Paris. Il travaille actuellement sur la traduction du texte Le théâtre est-il nécessaire ? (Circé, 1997) de Denis Guénoun. Il est membre associé du Cérédi de l’Université de Rouen et du LAPS.
Il a participé à de nombreux colloques sur la relation Emmanuel Lévinas/Jean Genet.
En 2004, à Giessen en Allemagne, il aborde « Genet et Lévinas : une esthétique de l’oubli », lors du colloque Literature and Memory : Representations, Functions, Intersections.
En avril 2006, il travaille sur la triade « Levinas-Dostoevsky-Genet: On Separation », lors du colloque international A Century with Levinas: On the Ruins of Totality, organisé par les Universités de Vilnius et Kaunas (Lituanie).
En 2010, il participe au Colloque du centenaire de naissance de Jean Genet, organisé par Hadrien Laroche à l’abbaye de Fontevraud. Son intervention « L’exemple de Smerdiakov. Genet, Lévinas et leurs filiations dans le roman russe » est disponible dans un format audio, enregistré par France culture (45 min). Cet article est disponible dans le recueil Pour Genet, paru chez Meet (Saint-Nazaire) en 2011.
En 2012, Thomas Newman a participé au colloque Images et fonctions du théâtre dans la philosophie française contemporaine, organisé par Dimitra Panopoulos et Flore Garcin-Marrou, à l’École Normale Supérieure de Paris, cette fois en abordant la relation Jacques Derrida/ Jean Genet.
Travail de thèse
La thèse de Thomas Newman A study of alterity and influence in the literary and philosophical neighbourhood of Jean Genet and Emmanuel Levinas, a été soutenue en 2008 à Londres devant un jury composé de Rudi Visker et Mairéad Hanrahan, à University College London (UCL).
Il y démontre de quelle manière l’esthétique de Jean Genet fonctionne comme exposition possible de l’éthique lévinassienne. Réfléchissant sur les similarités qui réunissent les œuvres des deux auteurs, à partir d’un questionnement sur l’intrigue de l’infini et sur la relation du soi à l’autre inconnaissable au-delà de l’être, il opère un rapprochement inédit, bâtissant un travail dialogique sur la trace de l’un et de l’autre, dans l’un et l’autre, convoquant deux autres auteurs, sources partagées par Genet et Lévinas : Dostoïevski (qui traite de la relation à l’autre) et Paul Valéry (qui étudie la place du sujet dans l’aesthesis).
Ainsi, cette thèse comble un vide, présent dans les études consacrées à Genet et à Lévinas : si l’influence de Valéry et de Dostoïevski est avérée chez les deux auteurs de la thèse, celle-ci n’a jamais fait l’objet d’un programme de travail. Le rapport de Genet et Lévinas avec Valéry relève surtout de l’esthétique et des notions d’action, tandis que le rapport avec Dostoïevski s’articule autour de la problématique du mal, ressentie par l’individu en interconnexité avec un monde pluriel. Dostoïevski et Valéry font ressortir la profondeur de la pensée de l’altérité chez Genet, ainsi que la complexité des relations humaines dans la concurrence qui se joue entre différentes altérités chez Lévinas. Thomas Newman évoque également les théories du genre littéraire chez Bakhtine et Derrida dans une réflexion sur l’altérité, et plus particulièrement dans la tragédie chez Hegel et Nietzsche. Ainsi, la thèse s’efforce de s’orienter parmi des préoccupations esthétiques, éthiques et phénoménologiques.
Bibliographie en français, disponible sur le net
« Le temple ou le théâtre. De la transcendance », Denis Guénoun avec la collaboration de Thomas Newman, colloque Emmanuel Lévinas et les arts en Sorbonne, 16 novembre 2006.
Publié dans les Cahiers philosophiques, n° 113, 2008. Version PDF ou html.
Recension de l’article « Le temple ou le théâtre. De la transcendance »
Cet article est un travail de Denis Guénoun, Thomas Newman ayant attiré ou ramené son attention sur quelques énoncés lévinassiens.
Il convient, tout d’abord, de préciser que Lévinas a peu pensé le théâtre et qu’il a problématisé des rapprochements qui stimulent la pensée du théâtre sans que lui-même n’ait pensé originellement le rapprochement. C’est le cas lorsqu’il aborde le témoignage (une position de l’acteur lorsqu’il est concerné par ce qu’il dit) ou l’inspiration (fondement de toute technique respiratoire de l’acteur). L’inspiration, selon Lévinas, est une « intrigue de l’infini » où le sujet se fait l’auteur de qu’il entend. Nous l’avons vu, le questionnement sur l’intrigue de l’infini occupe une place prépondérante dans la thèse de Thomas Newman. Ce concept énoncé dans Autrement qu’être ou au-delà de l’essence (1974) est suivi, dans la même page, d’une rare occurrence lévinassienne sur le théâtre : la subjectivité est vue comme « le temple ou le théâtre de la transcendance [1] ». L’analogie entre le temple et le théâtre se retrouve d’ailleurs dans De l’existence à l’existant [2] (1947).
Le traitement du problème de l’inspiration se situe dans la 2e section du chapitre 5 d’Autrement qu’être ou au-delà de l’essence [3]. L’inspiration intervient dans une réflexion sur la pensée de l’acte. Deux schèmes sont exposés : 1/ l’acte est spontané, s’origine spontanément dans le sujet. Ce dernier est alors principe et commencement de l’acte. 2/ l’inspiration permet de mettre en cause cette actualité de l’acte dans le sujet, cette spontanéité originaire, cette auto-fondation. Le sujet spontané doit être déconstruit. La subjectivité ne doit plus être active dans la réalisation d’un acte, mais passive. Il s’agit de remettre en cause l’activité de l’acte et d’envisager la « passivité de l’acte ».
Quel peut être alors un acte non-actif, sans action, sans actualité ? Comment l’acteur peut-il s’en saisir à son tour ? L’inspiration est une altération qui anime le sujet (qui reste néanmoins passif, car il reçoit une parole de l’extérieur). Cette altérité et cette passivité se trouvent dans le « Dire [4] », un faire non-actif, un verbal non-actif, un dire sans dit puisqu’il est dépourvu de tout contenu (de toute actualité). Ce dire est un langage qui n’a pas une fonction communicatrice. Il fait partie d’un jeu d’exposition, non pas de quelque chose (un dit), mais de l’exposition même.
Denis Guénoun avance l’hypothèse que l’acte de l’acteur relève de cela : l’acteur, quand il joue, ne joue pas ceci ou cela mais expose l’exposition théâtrale. C’est un jeu pur, délivré de ses fonctions incarnatrices, illustratrices, démonstratives. Plus que les thématiques de son personnage, l’acteur joue l’événement de l’exposition de son personnage, l’entrée de celui-ci sur scène. Son entrée relève bien du Dire (un acte passif) lorsqu’il se présente et dit : « Me voici [5] ». Que dit l’acteur quand il dit cela ? Il ne s’identifie pas pour le public en tant que personnage, mais expose sa propre voix, sa propre figure, son propre geste. L’acteur ne joue donc pas encore son rôle, il n’est pas encore dans l’activité de son rôle. Son action reste passive puisqu’il ne fait que se présenter, passivement, au public ; sa vocalité et sa gestualité précèdent ainsi les actes actifs propres à la constitution et à l’interprétation de son personnage.
Le Dire n’est donc pas expressif, il est antérieur aux signes. De cette façon, il est témoignage pur de l’Infini. Témoignage dont le schème est celui de l’inspiration. Ainsi, dans sa passivité, l’acteur est aussi témoin d’un Infini. Le Dire relie inspiration, passivité, témoignage, prophétisme. Quel est le principe de la prophétie ? Elle laisse parler la transcendance de l’Infini en elle. Le sujet est alors l’auteur de ce qui lui a été insufflé à son insu.
Pourquoi tenir à démontrer une telle hypothèse de travail, alors que la passivité requise exclue l’acteur, dans tout ce qu’il a d’actif et d’actuel ? Ne peut-on pas l’appeler alors un passeur, dont le propre est d’être passif ? Denis Guénoun opère un détour nécessaire vers l’analyse du drame chez Lévinas, concept qu’il emploie dans Totalité et infini, dans De l’évasion, Le Temps et l’autre, De l’existence à l’existant… Soit le drame est évoqué à propos de l’identité [6], soit à propos de Heidegger et d’un « drame de l’être », soit à propos des événements [7]. Lévinas analyse la paresse et la fatigue, qu’il ne décrit pas comme des contenus de conscience psychologiques, mais comme des événements au caractère dramatique. L’événement n’est pas un simple acte, il peut être affectif et en cela, passif ; donc, il ne fait pas partie d’une pensée de l’acte. L’affectif n’est pas un acte ; il ne constitue pas un moment actif de l’acte.
Pourquoi cette réflexion sur le drame est-elle abandonnée dans Totalité et infini ? Comme le note Lévinas, entre les pages 11 et 14 (coll. L de Poche, 1996), il faut distinguer l’idée de l’infini de l’idée de totalité et soutenir le primat philosophique de l’idée de l’infini (problématique programmatique du livre de Lévinas). Pour expliquer ce primat, le philosophe utilise la fonction de production, pour expliquer de quelle manière l’infini se produit dans la relation à l’autre. Dans cette idée de production, sont contenues deux idées : celle d’effectuation et celle d’exposition. Un argument se produit, comme un acteur se produit, écrira Lévinas. L’infini est ce qui dépasse le sens, le contenu de la pensée. Ce dépassement est expliqué par la pensée comme événement : les événements étant des conjonctures qui correspondent à des drames (et non à des actes actifs et violents), mais un drame spécifique qui ne serait pas subordonné à l’action. Lévinas se réfère alors à une note de Nietzsche, sur le drame, dans Le cas Wagner : « ce fut un vrai malheur pour l’esthétique que l’on ait toujours traduit le mot drama par ‘action’ [8]. ». Nietzsche souligne que le mot « drame » est d’origine dorienne et qu’il signifie « événement » (Ereignis). Par cette remarque, Denis Guénoun conforte son intuition de voir l’émergence d’une subjectivité propre à l’acteur.
Ainsi, une dramatologie apparaît possiblement quand le drame est justement mis en crise. L’acteur est peu visible quand le drame prend toute la place : l’acteur reste alors tapi derrière son personnage. Il faut que le drame se retire pour que le concept d’acteur soit saisissable et que l’acteur soit en vue. Or c’est bien l’action dramatique qui se retire, pour laisser place à la présence de l’acteur en soi. Trois situations de retrait du drame sont possibles : 1/ L’action se retire et laisse la place à la passion. L’action est suspendue, de manière à laisser les dispositifs passionnels occuper la scène. 2/ La comédie met en crise l’action tragique. Il n’est donc pas étonnant que Lévinas se soit intéressé à la comédie. 3/ L’action se retire au fur et à mesure que l’acteur s’impose comme puissance de sentir, et non comme puissance d’agir. L’acteur devient donc pensable lorsqu’au théâtre, le régime de l’action est supplanté par le régime de l’exposition, de la production, de la passion. Denis Guénoun conclut que ce passage est symptomatique du passage du « temps du drame » au « temps de la scène », lieu d’exposition de la passion des acteurs, si elle est bien dégagée de tout aspect dramatique. Lévinas fait alors écho à Valère Novarina (Pour Louis de Funès) : « Louis de Funes disait en sortant : “Ils sont venus assister à la passion de l’acteur qui représente les passions [9] ». Mais aussi à une remarque de Walter Benjamin : « Ce dont il s’agit dans le théâtre d’aujourd’hui se définit plus exactement par rapport à la scène que par rapport au drame [10]. »
Lévinas, par ricochet, permet alors à Denis Guénoun de penser la scène par rapport au drame et aux actions tragiques. Une scénicité de la scène, analysée non comme un simple lieu géographique, mais comme base existentielle, une base d’Être, conditionnant ce « me voici » lévinassien. Une scène comme support d’appui, support transcendantal.
Quelques pistes sur le lien entre Paul Valéry, Jean Genet et Emmanuel Lévinas
Dans un article inédit, à paraître prochainement, Thomas Newman s’arrête particulièrement sur le lien entre Jean Genet et Paul Valéry, tout en convoquant Emmanuel Lévinas.
Sartre, dans Saint Genet, comédie et martyr, ressent le besoin de Genet de cumuler les genres dans un seul ouvrage, notamment celui d’écrire sur l’éthique de l’art, sans que cela soit un traité philosophique (en même temps qu’il écrirait de la poésie et son autobiographie). Mallarmé en a rêvé dans son Livre, mais également Paul Valéry, qui dans ses dialogues d’inspiration platonicienne, forge un verbe autant poétique que spéculatif, l’activité d’écriture étant liée à une activité de la pensée, en vue d’un « art des idées ».
Lecteur de Valéry, Genet reprend des problématiques philosophiques propres à l’auteur, comme la mathématique secondant la physique, la valeur de l’action, l’expression de l’autre. Valéry et Genet se rejoignant autour d’une certaine alliance entre le lyrique et l’analytique. Lorsque Valéry évoque la figure du Philosophe (dans « Léonard et les philosophes »), il y évoque son désir de construire une esthétique et une éthique…
L’autre scène, l’il y a et le drame de soi chez Lévinas, par Thomas Newman.
La communication du mardi 15 janvier comparera l’autre scène freudienne, saisie de manière différente par Philippe Nemo (Job et l’excès du mal, 1978) et Rudi Visker (The Inhuman Condition, 2004), et, à partir de ces discussions du mal et du traumatisme, articulera la scène de l’exposition de soi dans le témoignage, avec des références à Rotrou (Saint Genest), Dostoïevski et Genet.
Bibliographie spécifique à la séance :
Visker, Rudi, The Inhuman Condition. Looking for Difference after Lévinas and Heidegger, Kluwer Academic Publishers, 2004/2005.
Critchley, Simon, « The Original Traumatism: Lévinas and Psychoanalysis », in Ethics, Politics, Subjectivity; Essays on Derrida, Lévinas and Contemporary French Thought, London, Verso, 1999.
Lévinas, Emmanuel, De Dieu qui vient à l’idée, Paris, Vrin, 1982
_ Totalité et infini. Essai sur l’extériorité, La Haye, Nijhoff, 1961.
Llewelyn, John, Emmanuel Lévinas. The Genealogy of Ethics, Routledge, 1995.
Nemo, Philippe, Job et l’excès du mal (1978), Albin Michel, 1999.
Rotrou, Le Véritable Saint Genest (1646), Flammarion, 1999.
[2] ‘Un temple désaffecté est encore habité par son Dieu […] ; un théâtre vide est affreusement désert.’, De l’existence à l’existant (1947), Paris, Vrin, 1998, p. 35.
[3] ‘La gloire de l’infini’, dans Autrement qu’être ou au-delà de l’essence, op. cit., p. 220-238.
[4] Ibid., p. 223.
[5] Ibid.
[6] ‘Son identité avec soi-même perd le caractère d’une forme logique ou tautologique ; elle revêt, comme nous allons le montrer, une forme dramatique’, De l’évasion, op. cit., p. 98. Ce passage devrait être mis en relation avec De l’existence à l’existant, op. cit., p. 149-153 ; Le Temps et l’ Autre (1948), Paris, PUF, 2004, coll. Quadrige, p. 31, 36, 37, 51, 92 ; Autrement qu’ être ou au-delà de l’essence, op. cit., p. 226-227.
[7] ‘Mais la réflexion seule confère ce titre de pure forme a tous les évènements de notre histoire en les étalant comme des contenus et en dissimulant leur caractère dramatique d’événements’, De l’existence à l’existant, op. cit., p. 30.
[8] F. Nietzsche, Le Cas Wagner, trad. E. Blondel, Paris, Flammarion, 2005, coll. GF, p. 53. Ces lectures de la production et du dran trouvent leurs origines dans The Genealogy of Ethics, Routledge, 1995, p. 31, 73.
[9] V. Novarina, Pour Louis de Funès, dans Le Théâtre des paroles, p. 148.
[10] W. Benjamin, ‘Qu’ est-ce que le théâtre épique ?’ (première version, 1931), trad. P. Ivernel, dans Essais sur Brecht, La Fabrique éditions, 2003, p. 18.