Enregistrement audio de Nicolas Ferrier lors de son intervention au colloque « Images et fonctions du théâtre dans la philosophie française contemporaine » à l’Ecole Normale Supérieure, le 20 octobre 2012 : « Le physique du théâtre contre la métaphysique du spectacle. Essai sur Guy Debord » (mp3)
Le physique du théâtre contre la métaphysique du spectacle. Essai sur Guy Debord (mp3)
Deux axes problématiques orientent ce propos. Dans un premier temps, il s’agit de montrer qu’il y a une pertinence métaphysique du capitalisme qui est le concept de « société du spectacle » et dans un deuxième temps, que le mouvement de l’internationale situationniste, créé par Guy Debord, a réagi à cette métaphysique du capitalisme en la contrant.
Nicolas Ferrier souligne à quel point La Société du spectacle (1967) est un ouvrage métaphysique, car il ne se résume pas seulement à une qualification socio-économique du capitalisme (analysant le système comme exploitation du travail de l’homme au détriment de lui-même et la planète)… Il se caractérise davantage comme une analyse d’un système politico-métaphysique qui asservit l’homme à une chose suprasensible, bien que sensible, concept emprunté à K. Marx (1er chapitre, 4e partie du Capital) et repris par G. Debord dans sa thèse n° 36 : « C’est le principe du fétichisme de la marchandise, la domination de la société ‘des choses suprasensibles bien que sensibles’, qui s’accomplit absolument dans le spectacle, où le monde sensible se trouve remplacé par une sélection d’images qui existe au-dessus de lui, et qui en même temps s’est fait reconnaître comme le sensible par excellence ».
Qu’entend-on par ce concept de « suprasensible bien que sensible » ? Pour comprendre ce phénomène, il faut saisir le principe du fétichisme selon K. Marx : « Dans le monde religieux, les produits du cerveau humain semblent être les figures autonomes, douées d’une vie propre, entretenant des rapports les unes avec les autres et avec les humains. Ainsi en va-t-il dans le monde marchand des produits de la main humaine. J’appelle cela fétichisme, fétichisme qui adhère aux produits du travail dès lors qu’ils sont produits comme marchandises » (Le Capital, Livre I, trad. J.-P. Lefebvre, PUF, 1993, p. 83). Le fétichisme consiste en un transfert inconscient d’une puissance humaine vers un objet, le dotant ainsi d’une vie apparemment autonome. Ce que Nicolas Ferrier nomme « transfert inconscient », K. Marx le nomme « quiproquo ». Quiproquo lié à notre faculté naturelle d’idéalisation, de conceptualisation que nous projetons sur un objet. Mais dans le cadre de la religion, comme du marché capitaliste, l’homme en vient à oublier qu’il est l’origine et la fin de ce processus d’idéalisation et c’est ainsi qu’il prête à l’idole ou à la marchandise une vie propre, autonome, indépendante de son esprit, supérieure à lui, « suprasensible, bien que sensible ». Pour se débarrasser de ce quiproquo, K. Marx enjoint à sortir du mode de production capitaliste…
Nicolas Ferrier a suivi des études de philosophie (Aix-Marseille, Paris IV) et une école de théâtre à Paris. Il a publié sa thèse intitulée Situations avec spectateurs, recherches sur la notion de situation (P.U.P.S., 2012). Aujourd’hui, il continue de mener des recherches théoriques et artistiques sur les fonctions politiques, sociales et économiques de l’art et de la culture. Il est chercheur associé au LAPS.
Marc Vincent Howlett de l’École supérieure des Arts appliqués Duperré est le modérateur de cette session sur le théâtre et la philosophie politique.