Dominique Paquet est docteure en philosophie, actrice, dramaturge, présidente des EAT (Ecrivains associés du Théâtre). Chargée de cours dans plusieurs universités, co-directrice du Groupe 3/5/81, elle travaille à des adaptations de textes littéraires ou philosophiques (Platon, Descartes, Onfray, Bayard) et écrit plus de trente pièces pour le jeune public et le tout public. Elle est également codirectrice artistique de l’Espace culturel Boris Vian des Ulis, Scène conventionnée jeune public et adolescent.
Dominique Paquet est une des pionnières en France à avoir considéré la relation entre théâtre et philosophie comme un terrain spécifique de réflexion, d’expérimentation et de création. Comédienne, metteur en scène, docteur en philosophie, elle a pu se confronter à cette problématique en alternant les points de vue, en les superposant et en les faisant se rencontrer.
Lors de la séance du LAPS du 29 avril dernier, nous avons pu apprendre de son riche parcours et de ses nombreuses réalisations, dont voici une note synthétique qui ne porte que sur certains points évoqués lors de la séance.
Platon et Descartes, à la scène
En 1985, Dominique Paquet adapte le Banquet de Platon, transposant le dialogue sur la plage, au soleil de la philosophie, après une nuit de beuverie qui caractérise la fête chez Agathon. Dans cette 1e version, cette beuverie se situait en 1967 la nuit de l’arrivée des Colonels au pouvoir en Grèce. Elle a entremêlé ensuite la lettre 7 de Platon qui concerne les rois-philosophes et les philosophes-rois.
Puis, en approfondissant l’œuvre cartésienne, D. Paquet adapte Descartes pour mettre en scène Le Boucher cartésien, spectacle qui se trame entre un boucher et sa femme dans la boucherie, après la fermeture du rideau de fer. En travaillant sur les Anatomica de Descartes, qui a disséqué 25 ans, là est venue l’idée du boucher et de la boucherie. L’enjeu de la pièce était le suivant : la femme demande au boucher René de la faire passer par les étapes de sa philosophie. Pourquoi ? Dans Le Discours sur la méthode, Descartes note qu’il a écrit en français pour que les femmes puissent aussi le lire ! Il s’agissait donc de le prendre au mot. Le décor était une boucherie où trônait une machine à transformation : un billot où le corps de la femme disparaissait de sorte qu’il n’en reste seulement plus que la tête et les mains, une transposition scénographique du doute radical (qu’est-ce que le doute radical, sinon ne pas avoir d’yeux ni de mains ?). Après diverses péripéties, après le texte du Traité des passions, la femme demandait à René de lui ouvrir le crâne pour trouver la glande pinéale. Outre la visée pédagogique, il s’agissait dans cette pièce de faire rentrer le désir sur scène, la femme se déshabillant – physiquement et symboliquement – pour revêtir la robe de la philosophie.
Les trois années du Séminaire au Ciph
Dominique Paquet a ensuite proposé une série de séminaire sur Thespis et Socrate : un panorama historique sur les relations des dramaturges et des philosophies, de manière chronologique, d’Héraclite à Lessing. Partant d’Héraclite et de la tension entre le Logos et la permanence du Muthos, de Thespis considéré comme le plus ancien tragique grec et le premier acteur, de l’intervention de Solon qui demande à Thespis si ce n’est pas dangereux d’écrire une tragédie, D. Paquet a abordé lors de ce séminaire au Ciph des concepts comme la théâtralité, l’imitation, la catharsis, de l’acteur… analysant particulièrement le Ion de Platon (qui questionne la spécificité de l’art du rhapsode) en présence de Michèle Foucher qui venait d’ailleurs de le présenter sur scène au Théâtre de l’Athénée avec deux actrices perchées sur une échelle, dans des endroits de déséquilibre et de pente. Puis elle s’est intéressée à Aristophane, Aristote, Euripide (la question de l’Agôn), Sénèque, la comédie latine (notamment à un petit corpus de comédies philosophiques farcesques), l’héritage d’Aristote, la présence chez Molière d’un certain type de réflexion philosophique, Diderot, Voltaire (davantage du point de vue de sa pédagogie car il a formé le grand acteur Lekain !), Rousseau puis enfin, Lessing. Il reste une trace du colloque consécutif au séminaire du Ciph, disponible dans les Cahiers du Ciph n° 15 : « Philosophies du théâtre, théâtre de la philosophie » [1].
Elle a fait une rencontre originale avec les pièces de Hrotsvita de Gandersheim, chanoinesse et poète née entre 930 et 935 : six pièces de théâtre écrites dans le style de Térence, qui seront jouées en France, pour certaines, au XIXe s pour le théâtre de marionnette. Hrotsvita de Gandersheim a laissé des éloges et s’est donnée pour mission de rassembler les haillons de la philosophie, fidèle en cela à l’allégorie médiévale de la philosophie présentée comme une femme en haillons, notamment dans l’œuvre de Boèce, Consolation de la philosophie. Ces pièces apologétiques visent à renforcer la foi des nonnes qui, paraît-il, jouaient ces pièces avec des barbes dans le couvent de Gandersheim. Elles mettent en scène des femmes chrétiennes confrontées à des hommes païens qu’elles convertissent. Dans la pièce Callimaque, on trouve un fragment proprement philosophie (des considérations sur la grâce et la beauté, sur la substance et ses attributs chez Aristote). Dans la pièce Sapience, les nonnes font la morale à l’empereur Hadrien en lui parlant de la théorie des nombres de Boèce, dans la lignée de Saint-Augustin qui réconcilie foi et science [2].
La philosophie et le théâtre jeune public
Les escargots vont au ciel – Rêveries avec le complicité tutélaire de G. Bachelard
En 1995, D. Paquet écrit une pièce philosophique pour jeune public, à partir de l’œuvre de Bachelard. Avec des enfants, sur l’invitation de la Scène Nationale de la Roche sur Yon, elle mène des ateliers d’écriture sur les quatre éléments, voulant se confronter à la réception sensorielle de la nature chez les enfants qui courent dans des cours goudronnées, à qui on dit de ne pas se salir. D. Paquet les fait écrire sur les eaux dormantes, les eaux jaillissantes, le grand bleu, la pluie, les écoulements, les sources : tout le corpus de la poétique de l’eau et de l’espace. La structure bachelardienne des quatre éléments lui permet de faire voyager une petite fille qui se promène sur un champ de course et rencontre le pic-vert des acacias. Cet oiseau fait référence à l’anecdote que raconte Bachelard dans ses Mémoires (entendant un marteau piqueur sous ses fenêtres, il avait imaginé pour continuer à travailler que c’était un pic-vert). Cette petite fille trace une marelle d’escargot, pivot dramaturgique de toute la pièce : elle dessine une coquille rare, cogne un arbre et révèle le pivert des acacias, oiseau philosophe qui va la faire passer dans les quatre éléments. Une coquille d’escargot lui permet de plonger dans l’infini, puis l’oiseau la fait s’envoler dans les airs, redescendre dans la boue où elle crée des volcans et des sorcières puis fait l’expérience du feu. Dans ce voyage, cette enfant démunie, solitaire, fille de parents divorcés, comprend la nature et la relation sensorielle aux quatre éléments. A la fin de pièce, juchée sur une armoire, elle regarde le monde. L’enfant s’élève soulevée par un dispositif qui la fait tourner comme la spirale d’un escargot.
En savoir plus
Ouvrages de Dominique Paquet sur la relation théâtre/philosophie :
- L’Atelier d’écriture philosophique, un déploiement poétique et philosophique, in Diversifier les formes d’écriture philosophique, CRDP Languedoc/Roussillon, 2000
- La Théâtralité philosophique du savoir et de l’ignorance dans « Ménon » de Platon, Ellipses, 1999
- La Théâtralité philosophique de Hrosvitha de Gandersheim, Musée de l’Abbaye Saint-Germain, colloque « La femme et l’écriture au Moyen Âge », 1998
- L’Athanor philosophique, dans « Frankenstein » de Mary Shelley, Ellipses, 1997
- La Mise en scène du pouvoir dans la rhétorique, dans le « Gorgias » de Platon, Ellipses, 1994
- Du discours de vérité aux corps parlants : les philosophies du théâtre, Universalia, 1990.
- Voir la liste des autres publications et des pièces de théâtre sur le site personnel de Dominique Paquet.
[1] Sommaire : _ Introduction par Dominique Paquet (page 1) _ Essai d’analyse épistémologique de la théâtralité ou les pièges de la dérive d’un concept fluent par Michel Bernard (page 1 à 15) _ Dramaturgie de Lucrèce . Débat à propos du De rerum Natura de Lucrèce par Jean Jourdheuil et Jean-François Peyret (page 16 à 30) _ Pour une détermination philosophique de la théâtralité (débat) par Denis Guénoun (page 31 à 42) _ Philosopher au théâtre par Philippe Lacoue-Labarthe (débat) (page 43 à 51) _ Poétique morphologique, poétique transcendantale par Catherine Kintzler (page 52 à 63) _ Jouer Platon aujourd’hui ? (débat) par Michèle Foucher (page 64 à 71)
[2] Monique Goullet, « Le petit théâtre de Hrotsvita », L’Histoire n° 233, juin 1999, p 24-25
Hrotsvita. Théâtre, texte établi, traduit et commenté par Monique Goullet. Paris : Les Belles Lettres, 1999