Cet atelier pratique proposé par Violaine Chavanne (LAPS), assistée de Raffaella Gardon (LAPS) sera axé essentiellement sur le jeu clownesque. Conçu comme un laboratoire, il proposera d’expérimenter la parenté entre les deux pratiques que sont le clown et la philosophie.
5 séances sont prévues sur une période de trois mois au cours du premier semestre 2015 : trois d’abord espacées puis deux consécutives. L’atelier Clown et philosophie se déroulera à la Maison populaire de Montreuil de février à avril 2015.
Argument de l’atelier Clown et philosophie, par Violaine Chavanne :
« Je ressens le travail du clown, du clown théâtral, comme éminemment philosophique. Est-ce mon clown qui l’est (puisque je pratique moi-même cette forme théâtrale) ? Le clown porte en effet au devant de lui l’identité personnelle en en faisant un type. Or, mon identité est forcément empreinte du travail de la philosophie. Il y a sans doute une raison toute personnelle à ce sentiment.
Mais il me semble que le travail du clown est, par lui-même et de façon générale, philosophique. Plus que psychologique d’ailleurs. Certes, dans la pratique du clown chacun peut faire le constat qu’il travaille avec ses idiosyncrasies, ses propres failles. Le clown offre la possibilité d’en faire une matière de jeu là où nous vivons ces traits de caractère dans la vie sociale plutôt comme des récurrences encombrantes, voire handicapantes.
Mais ce terreau psychologique s’il est bien une matière privilégiée du clown ne me semble pas rendre compte de la portée de cette forme, de sa vérité. Car l’identité personnelle de tel ou tel clown passe à la moulinette, si l’on peut dire, du nez rouge, c’est-à-dire du masque. Le nez rouge (qu’il soit gardé en tant que tel dans l’allure finale du clown ou qu’il se déplace dans un élément caractéristique du costume, du maquillage, de la démarche) est le masque élémentaire, ce qui singularise et universalise à la fois les traits de caractère de tel ou tel. Le clown est donc philosophique à la façon dont Aristote écrivait que la poésie l’était, dans la mesure où le particulier accède à la généralité, non par la logique d’une fiction ici, mais par le nez rouge.
Comme matrice philosophique, il est une machine à faire de rien ou de presque rien (nos traits psychologiques ne sont finalement en eux-mêmes pas grand chose) une vérité générale, une possibilité générale de l’existence, fût-elle insignifiante. Cette matrice philosophique a donc une portée particulièrement métaphysique. Son jeu questionne ce qui peut être chargé d’existence sur scène. Quelles paroles, quelles gestes, quel espace, quel signe émotionnel peuvent être par lui gratifiés d’une existence tout aussi éphémère que réelle ? On pourrait dire « tout » dans la mesure où chaque parcelle de ce tout se présente comme « rien », ou comme presque rien car, par son jeu, le « rien » devient quelque chose.
Matrice philosophique mais également gratification métaphysique donc.
Or cette performance métaphysique, par laquelle le menu, l’élémentaire parviennent à être quelque chose de tout à fait suffisant, un monde qui tient en lui-même, cette performance a également une signification politique. Car elle inverse les rapports du jeu économique et social. Le clown fait jeu et spectacle de ses échecs, de ce qui le rend pour la vie sociale tout à fait improductif. En prenant le public à témoin, il donne de nouveaux galons à ces ratages, par le rire qu’il sollicite. Et ce faisant, il participe à créer une nouvelle communauté autour de ce retournement du système des valorisations sociales. Voilà pourquoi il est subversif : il fait de ses faiblesses une force. Les meilleurs clowns sans doute savent renverser leur position de fausse victime en fauteur de trouble du système.
Le clown est ainsi une forme philosophique en vertu de ses actes, lesquels se déclinent dans ces trois champs de la philosophie : théorétique, métaphysique et politique. En amont de ceux-là, il y a plus profondément encore l’étonnement. Celui-ci scelle l’affinité entre les deux pratiques. Le clown s’étonne de ce que nous ne voyons plus ; réceptif au moindre détail, il en fait un événement. La philosophie de son côté commence avec l’étonnement et fait de n’importe quelle évidence un problème, lequel risque bien de rester insoluble.
Par ailleurs une certaine philosophie (de Démocrite pour l’antiquité à Avital Ronell aujourd’hui, en passant notamment par Nietzsche) choisit de rire des problèmes de l’existence humaine. La distance et la clairvoyance ainsi conquises ont quelque chose de la dérision clownesque.
En vertu de cette parenté profonde entre les deux pratiques que sont le clown et la philosophie, j’aimerais expérimenter la manière dont elles peuvent se nourrir. Non pas d’une façon théorique mais d’une façon pratique, depuis le jeu clownesque. Puisque celui-ci produit par lui-même des gestes philosophiques, il s’agit de s’installer dans la pratique du clown et d’accorder, en plus, à la philosophie le statut d’un matériau de départ pour des improvisations. Mais un matériau élémentaire, fragmenté, dont il importe qu’il soit même quasi insignifiant. On peut par exemple partir de bribes relatives aux idiosyncrasies philosophiques de chacun des participants (qu’ils soient philosophes ou qu’ils aient un rapport plus lâche avec la philosophie), ou bien d’un mot au contenu philosophique fantasmé, d’une assertion sortie de son contexte, d’un geste qui serait spontanément et sans aucune logique associée à une idée, d’une obsession philosophique, etc. Il s’agirait de jouer avec ces endroits où la parole se grippe, là où au contraire elle peut prendre des envolées au détour de chemins très buissonniers, là où le corps lui-même prend le relais. Il ne s’agit aucunement de présager a priori des types de liens ou des points d’achoppement qui peuvent avoir lieu entre les modes d’existence du clown et les pensées qui prendront forme, ce qui serait contraire au travail d’improvisation lui-même dont le bonheur réside précisément en ce qu’il nous emmène sur des chemins que nous ne connaissons pas. Je voudrais à partir d’exercices divers, progressifs, individuels et collectifs, laisser agir ce qui fait la base du travail du clown : le corps, l’imaginaire, les états d’âme que toute chose suscite en lui.
Il s’agit, dans un esprit libre de recherche (ne se souciant pas d’un résultat arrêté) et d’amusement, d’éprouver ensemble la productivité philosophique du clown tout autant que l’improductivité de la philosophie ou bien le mutisme philosophique du clown et l’essence clownesque de la réflexion philosophique : qui sait dans quel sens les rencontres pourront se faire ? »
Modalités :
L’atelier Clown et philosophie est ouvert à tous ceux qui souhaitent se confronter à cette forme de jeu, qu’ils aient déjà la pratique du clown ou non, qu’ils soient philosophes ou ne le soient pas.
Toute personne intéressée ou souhaitant un renseignement peut écrire à Violaine Chavanne