Il est l’invité du LAPS le jeudi 11 avril de 10h à 13 h à la Maison de la recherche, 28 rue Serpente, 75006 Paris, salle S 001. Entrée libre, sans réservation.
Jean-Pierre Sarrazac est professeur émérite de l’Institut d’études théâtrales de Paris 3, professeur invité à l’Université de Louvain-la-Neuve, auteur de pièces de théâtre, metteur en scène, essayiste, directeur de collection. Il a été aussi professeur à l’École du TNS, conseiller artistique, dramaturge…
Recherches sur le drame
Il est le fondateur, en 1995, avec Jean-Pierre Ryngaert, du Groupe de recherche sur la poétique du drame moderne et contemporain, au sein de l’Institut d’Études théâtrales de l’Université Paris 3. De nombreuses publications font état de cette recherche collective, comme le Lexique du drame moderne et contemporain [1] qui analyse, à travers plus de cinquante mots choisis, les dramaturgies modernes et contemporaines, à l’aune d’une nouvelle forme de drame. Une réflexion collective qui reprend l’étude du drame où Peter Szondi l’avait laissée dans la Théorie du drame moderne, publiée en Allemagne en 1956 [2].
Le livre de Szondi reprend les différentes définitions du drame d’Aristote, Goethe, Schiller, Hegel, Adorno, Lukacs, montrant que ces conceptions sont fondées sur le rapport entre la forme et le contenu (qu’il soit opposition, condensation ou dialectique). Szondi constate que cette forme absolue, cet ensemble fermé sont remis en question dès la fin du XIXe siècle : la « crise du drame » remet en question l’absolu du drame qui voit sa temporalité fragmentée, ses dialogues distordus, les rapports binaires entre personnages parasités, un souffle épique et une distanciation émerger.
Cette crise fait écho à la crise existentielle qui assaille l’homme de la fin du XIXe siècle. Les dramaturges ne font que raconter les changements d’un monde : Tchekhov, Ibsen, Maeterlinck, Hauptmann font de cette thématique l’axe principal de leurs dramaturgies. La forme ancienne qui perd sa qualité de « bel animal » suscite toutes sortes de « sauvetage » que Szondi répertorie, mais aussi des « solutions » proposées, comme le théâtre épique brechtien…
Mais la faiblesse de cette interprétation tient au fait que Szondi reste attaché à une forme ancienne du drame : le curseur de sa pensée reste pointé sur cette forme. Il envisage des sauvetages et des solutions, alors qu’il faut penser le drame moderne en terme de dépassement.
Le travail de Jean-Pierre Sarrazac, dès L’Avenir du drame (1981) et les recherches du Groupe de recherche sur la poétique du drame moderne et contemporain dépassent l’investigation de Szondi : tout en maintenant une continuité, il y a donc une rupture nette avec une vision dialectique et historicisante de la problématique. Mais comme le prophétisait Peter Szondi dans sa conclusion : « L’histoire de la littérature dramatique n’a pas de dernier acte ; le rideau n’est pas encore tombé ».
De Hegel à Deleuze
Après trente ans de recherche sur la problématique, c’est tout naturellement que Jean-Pierre Sarrazac commence la préface de sa Poétique du drame moderne. De Henrik Ibsen à Bernard-Marie Koltès (Seuil, 2012) en évoquant la « forme ouverte » du drame, qu’il oppose implicitement à la forme fermée typiquement hégélienne de Szondi. Le rideau s’ouvre de nouveau : mais « il faut se rendre à l’évidence, l’esprit téléologique post-hégélien aussi bien que le dogme de l’identité de la forme et du contenu ont vécu » (p. 13). Jean-Pierre Sarrazac nous avertit que le fonds référentiel théorique a changé, que les productions théâtrales de ces cinquante dernières années nous invitent à les lire à la lumière d’autres philosophes.
Adieu l’idéal de la belle unicité, voilà le « règne du désordre » avec lequel il faut se mettre à jouer (p. 13). Cela ne veut pas dire qu’il n’y ait plus de formes. D’autres, sont inventées. C’est sous l’égide de Nietzsche, et non plus de Hegel, que l’on lit les pièces de Strindberg, le chaos organisé de Pirandello, Artaud… jusqu’au théâtre-récit, texte-matériau, écriture de plateau qui procèdent par superpositions, collages de textes hétérogènes. La mort du drame ? Il n’est pas question de cela. Un drame post-dramatique ? Jean-Pierre Sarrazac ne s’accorde pas avec les hypothèses de Hans-Thies Lehmann. Il porte plutôt l’idée d’un « élargissement du drame » (p. 16), d’un « débordement », ou d’un « nouveau paradigme » (p. 17) « rhapsodique » cette fois-ci (p. 18).
La rhapsodie est une négation de la dialectique : c’est ainsi que, déjà, Sterne dans The Life and Opinions of Tristram Shandy, évoquait son écriture comme un « rhapsodical work ». Mentionnons aussi la tradition des miscellanées, textes divers et mélangés rassemblés sous la forme d’une mosaïque littéraire. La rhapsodie répond à une Weltanschauung hétérogène, placée sous le signe de la multiplicité, qui par de nombreux aspects, croisent la pensée de Gilles Deleuze. Ce sont ces points de croisement que la séance du LAPS du jeudi 11 avril de 10h à 13h s’apprête à élucider.
Pour préparer la séance, il est possible de lire :
Flore Garcin-Marrou : « Penser le drame moderne avec Gilles Deleuze » (recension de la Poétique du drame moderne de J-P Sarrazac, à l’aune de quelques concepts deleuziens).
Ismaël Jude : « ‘Revivre sa vie’, à propos de la création radiophonique de La Boule d’or de Jean-Pierre Sarrazac » (échos de la pièce de théâtre de J-P Sarrazac La Boule d’or, avec quelques concepts deleuziens)
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[1] Editions Circé, collection « Circe poches », 2005, 254 p.
[2] Publiée d’abord chez L’Age d’homme, en 1983, dans une traduction de Patrice Pavis, avec la collaboration de Jean et Mayotte Bollack, Lausanne, L’Age d’homme, coll. Théâtre/Recherche ; repris dans P. Szondi, La théorie du drame moderne, traduction de Sibylle Muller, éd. Circé, 2006.