La séance du séminaire LAPS du mois de mars a eu lieu au PRITEPS (Programme de Recherches Interdisciplinaires sur le Théâtre Et les Pratiques Scéniques) de l’Université Paris-Sorbonne. Les quatre organisateurs du prochain colloque LAPS, Julien Alliot, Flore Garcin-Marrou, Liza Kharoubi et Anna Street ont présenté collectivement les grandes problématiques qui structureront le colloque à venir (26-27-28 juin 2014). Le texte de cette présentation, intitulée « La mise en perspective du théâtre et de la performance, par la pensée anglo-américaine. Une présentation du colloque TPP 2014 – Théâtre, Performance, Philosophie : croisements et transferts dans la pensée anglo-américaine contemporaine. » est restitué ici dans son intégralité :
« Anna : Normalement, on dit qu’un spectacle artistique sera toujours unique, impossible à répéter: jamais les mêmes acteurs, jouant la même pièce, ne pourront produire le même spectacle.
Flore : Le théâtre, c’est la vie.
Julien : On dit que, dans la vie, on ne fait jamais rien pour la première fois. On ne fait que répéter les expériences passées, les habitudes, les rituels, les conventions.
Liza : La vie, c’est du théâtre. » (Augusto Boal)
Anna Street : Introduction aux Performance Studies
C’est Augusto Boal qui a écrit ses lignes pour décrire le champ de recherche baptisé Performance Studies par les anglo-saxons dans les années 60. Nous voulons montrer le cheminement du concept-praxis nommé performance, qui a commencé à prendre de l’ampleur dans les départements d’études théâtrales et qui est actuellement quasi omniprésent dans une multitude de secteurs (le média, l’internet, les arts, la linguistique, les théories du genre et de la race, etc).
Le terme « performatif » a été inventé par J. L. Austin, philosophe linguiste, pour décrire les actes de langage où « dire, c’est faire ». Par exemple, proclamer les vœux de mariage, demander pardon, porter témoignage ou parier sont à la fois des énonciations ainsi que des actes. Les promesses, les injures, les contrats et les jugements ne font pas que décrire ou représenter des actes mais sont de véritables actions en soi. (How To Do Things with Words, 1962; trad. Quand dire, c’est faire, 1970).
John R. Searle a été un des premiers philosophes à approfondir le concept du performatif à travers l’idée des « actes de langages » [speech acts] qu’il a développée au point de soutenir que nous construisons notre réalité par nos énoncés. (Speech Acts, 1969 ; trad. Les actes de langage, 1972).
En revanche, Searle et Austin ont exclu de leur analyse ce qu’il se passe sur la scène théâtrale, en avançant que les « performatifs » énoncés dans un contexte où les personnages ne font que semblant de dire et de faire ne peuvent pas rentrer dans la même catégorie linguistique. Pour eux, le langage théâtral est un « langage parasitaire ».
Quelques années plus tard cependant, les post-structuralistes ont renversé cet argument en mettant en question le caractère soi-disant « originel » ou « véritable » des énoncés non-théâtraux. Selon Derrida, tout langage est parasitaire, puisque le sens de nos énoncés ne peut jamais être définitivement déterminé. Nos actes linguistiques sont des créations collectives et interactives inscrites dans des circonstances spécifiques.
En matière d’art, la distinction entre le réel et le non-réel est déjà en pleine érosion. De Luigi Pirandello à John Cage, les catégories du vrai et du faux ne semblent plus tenir. Les études théâtrales ont donc adopté des théories développées en linguistique, en philosophie et en anthropologie pour analyser ces nouveaux types de « performance art ». Par conséquent, les études théâtrales se sont élargies pour englober toutes les formes de performance et se sont appelées Performance Studies.
Désormais beaucoup plus vaste que la littérature dramatique ou la mise en scène, les Performance Studies considèrent les arts du spectacle sous toutes ses formes, y compris la danse et les concerts, mais aussi tout événement communautaire ritualisé (par exemple un match de foot, une élection ou une compagne politique, un baptême). Au lieu de nier le côté « parasitaire » du langage théâtral, cet aspect est reconnu comme la qualité performative de tout langage. Quand un politicien ou un prêtre prend la parole en public, ce champ de recherche considère l’événement en termes de spectacle, d’interprétation et de jeu théâtral. Les Performance Studies s’intéressent donc à toutes les manifestations sociales, dans les domaines de la politique, de la religion, du sport, de l’économie, de la justice… Les mots performance et performativity en anglais sont donc très inclusifs, suggérant que le langage théâtral se prête à décrire un vaste réseau de drames sociaux. (Cf. Schechner, Richard (2002, 2013) Performance Studies: An Introduction)
Naturellement, une des influences les plus conséquentes au départ était celle de l’anthropologie. Ainsi, le développement des Performance Studies est souvent attribué à Victor Turner, grand anthropologue culturel britannique enseignant à l’Université de Chicago qui a inventé le concept de drame social.
L’idée d’origine est souvent aussi attribuée à la Performance Theory de Wallace Bacon, qui soutenait qu’un texte avait besoin d’être « performé » (c’est-à-dire lu à voix haute, joué…) pour pouvoir être interprété. Parallèlement, du côté de la sémiologie, des questions d’ordre linguistique concernant la performativité du langage, faisant écho à la théorie de Noam Chomsky [Aspects de la théorie syntaxique] publiée en 1965, se penchaient sur le phénomène de la performance linguistique.
Côté science, « le principe d’incertitude » de la mécanique quantique a également contribué à ce bouleversement des méthodes, avec le livre de Werner Heisenberg Physique et Philosophie : La science moderne en révolution publié quelques années auparavant (1958).
De nombreux facteurs se sont donc réunis pour remettre en question le système même de la philosophie occidentale – c’est-à-dire, l’interprétation du monde par les principes de la raison. L’hypothèse qui propose que ni les êtres humains, ni la science ne soient gouvernés par les règles ou les lois universelles rappelle les écrits de Nietzsche, qui avait déjà formulé une vision alternative du monde inspirée par les Présocratiques.
C’est une dizaine de penseurs français des années 60 qui a offert une relecture de la philosophie nietzschéenne pour mettre en avant les aspects créatifs et illusoires du monde dans lequel nous vivons. Culminant avec la théorie derridienne de la déconstruction, cette vision avance que notre expérience de l’univers n’est pas fondée sur une certitude mais plutôt sur la spéculation. Pour Derrida, le centre, comme le savoir, n’est pas un point fixe, mais une fonction qui déstabilise tout centre et toute autorité. En reconnaissant les savoirs comme de simples discours dont tout signifié transcendantal demeure infiniment différé, l’œuvre de Derrida marque le moment où « le langage a envahi la problématique universelle » (L’écriture et la différence). Son écriture incarne sa pensée en inaugurant un discours de marginalisation, mis en œuvre à travers des jeux de mots, des calembours et des double sens.
Ce souci de donner une voix et une présence à l’invisible trouve sa correspondance dans les politiques de soutien aux marginalisés et aux défavorisés, comme par exemple dans le lancement des Cultural Studies dans les années 1970 et des études post-coloniales dans les années 1980 aux Etats-Unis. Précurseurs de ces mouvements, les Performance Studies critiquent ainsi la politique du savoir et cherchent à affirmer l’hétérogénéité des identités culturelles, nationales et ethniques.
Les premiers départements de Performance Studies se sont ouverts à la New York University en 1980 et à la Northwestern à Chicago en 1984. Dans le même temps, Victor Turner et Richard Schechner organisent un premier colloque international sur le rituel et la performance. D’autres colloques se multiplient et un groupe de travail spécialisé dans les Performance Studies se forme au sein de l’association ATHE (L’Association pour les études théâtrales dans l’enseignement supérieur). En 1997, l’association Performance Studies international est fondée, sans affiliation institutionnelle ou nationale, dévouée exclusivement à promouvoir la discipline. Elle organise des colloques et des festivals partout dans le monde.
Bien qu’elle encourage l’échange interdisciplinaire, la création dans les années 1960 du champ de recherche des Performance Studies n’était pas à l’origine associée aux départements de philosophie. Cela dit, les Performance Studies avaient préparé le terrain pour la theory explosion qui n’allait pas tarder à frapper l’univers anglo-américain.
Dans les années 1970, l’ensemble des Sciences humaines se trouve en effet en pleine révolution. C’est l’arrivée de la théorie française (French Theory) qui a joué un rôle stratégique dans le bouleversement de la hiérarchie universitaire anglo-américaine . . .
Julien Alliot : Introduction aux tendances francophiles de la pensée anglo-américaine.
Retournons donc dans le passé afin de voir ce qu’il en a été de ces bouleversements qui ont touché l’Europe et les États-Unis dans les années 70.
Nous sommes à une époque où la société française est marquée par une forte politisation, où les débats d’idées font rage, notamment entre les nombreux intellectuels français influents, parmi lesquels nous pouvons citer Michel Foucault (qui publie en 1975 Surveiller et Punir), Jean-François Lyotard (qui devient Professeur à Paris VIII à la même époque), Gilles Deleuze (qui publie avec Félix Guattari l’Anti-Œdipe en 1972), Jacques Lacan (qui donnait ses derniers séminaires d’orientation topologique), Julia Kristeva etc…
Mais de façon tout à fait étonnante, la pensée de ces intellectuels a connu un destin radicalement différent en France et aux Etats-Unis, deux évolutions parallèles bien distinctes qu’il nous a semblé important de préciser en vue de comprendre les enjeux du colloque que nous organisons.
En France, ces discours ont curieusement eu une influence relativement limitée dans le champ universitaire, en comparaison avec les Etats-Unis. À partir des années 1980, ces penseurs ne faisaient en effet plus vraiment partie des références incontournables pour les étudiants et universitaires français. À quoi attribuer une telle marginalisation ? Ces penseurs sont restés confinés dans le champ de la philosophie, dans une sorte de tour d’ivoire, dans un intellectualisme réducteur. Dans son essai intitulé French Theory, François Cusset va jusqu’à dénoncer un « isolement culturel français », une « répudiation » des « maîtres à penser d’hier ». La foi en un universalisme humaniste a également pu contribuer à un tel rejet de ces penseurs, qui faisaient porter le soupçon sur le sujet, la société dans un contexte de mondialisation et de déracinements culturels.
Outre-Atlantique cependant, il semble que les anglophones aient pris la mesure de ce qu’ils ont nommé theory explosion. Les écrits des intellectuels français y ont été largement traduits et diffusés au tournant des années 80, au point de saturer le paysage universitaire américain. Ces grands noms (Derrida, Lacan, Baudrillard, Deleuze) ont commencé à être connus de tous. François Cusset compare même l’influence de ces figures d’intellectuels à celle de vedettes du show business, imaginant Derrida en Clint Eastwood, « pour ses rôles de pionnier solitaire, son autorité incontestée, et sa tignasse de conquérant » ou Jean Baudrillard en Gregory Peck « mélange de bonhomie et d’un sombre détachement ».
Une véritable mise au travail de ces textes a eu lieu aux Etats-Unis, davantage qu’en France, et a débouché sur une réappropriation tout à fait intéressante, qui a été baptisée French Theory. Ce terme apparaît tout à fait discutable par son aspect « fourre-tout ». Il est difficile de déceler ce qui serait une entité homogène entre Deleuze (auteur de l’Anti-Œdipe) et le psychanalyste Jacques Lacan, entre le « textualisme » de Derrida et l’assertion de Deleuze selon laquelle « un texte (…), ce n’est qu’un petit rouage dans une machine extra-textuelle ».
Mais il faut pour mesurer la portée de cette réappropriation entendre cette nouvelle catégorie comme un courant à proprement parler américain, né de ce que Cusset appelle « un malentendu créateur entre textes français et lecteurs américains », un « malentendu proprement structural ». En effet, loin de s’attacher à un idéal de « vérité » des textes, les Américains se sont autorisés à considérer ces textes comme des outils, comme des opérateurs, dans un usage à proprement parler pragmatique. Ces textes se sont vus quasiment mis en scène, et ont eu une efficace pratique. Ils se sont mis à relever non pas d’un champ intellectuel restreint mais de la culture générale. Aux Etats-Unis, la French Theory est devenue post-structuralisme (courant né de la réception internationale du corpus français, contre le dogmatisme mortifère d’une pensée figée). La French Theory s’est déclinée dans des champs très variés : Cultural Studies, études minoritaires, théories multiculturelles, Gender Studies (dont nous entendons beaucoup parler en ce moment en France) et bien sûr Performance Studies pour n’en citer que quelques-uns. Cusset souligne que ces intellectuels français tels qu’ils ont été lus aux Etats-Unis ont laissé leur trace dans des champs aussi divers que la musique électronique, le pop art, la science-fiction hollywoodienne ou le roman cyber-punk.
Cette impertinence à l’endroit des textes a pu se montrer pertinente, et faire naître une méthode nouvelle, une nouvelle manière de lire un texte en tant qu’il vit, qu’il résonne. Les pensées deviennent performance et, comme l’écrit Cusset, « pensées vivantes », « surfaces sensibles, peaux effleurées, sombres replis », « zone de contacts ». Il s’agit d’une véritable « érotique de la pensée » tout à fait stimulante. La pensée devient praxis, elle fait corps.
Certains philosophes américains mettent en œuvre cette performance et cherchent à redonner une place au corps. Avital Ronell, traductrice de Derrida, dénonce par exemple les « foolosophers » qui ne prennent pas en compte l’intelligence au cœur de ce qui est habituellement considéré comme stupidité (comme elle l’écrit dans son essai Stupidity). Dans The Telephone Book, elle met en scène son texte, et le corps du texte devient calligramme, façon pour elle de dénoncer ce qu’il en serait du Livre (avec un grand L). La philosophie devient chez elle « épreuve athlétique », et elle a pu écrire par exemple sur le besoin de s’éprouver : test drive. Le phénoménologue Alphonso Lingis, traducteur de Merleau-Ponty et Lévinas, joint à ses écrits des photos de ses voyages dans des contrées lointaines, et partage une réflexion philosophique en plaçant son lecteur en position de véritablement ressentir ses textes : il nous interpelle (« Let us dissolve the conceptual crust »), nous fait entendre tel charpentier africain au travail (« dum-dum-dum-DUM dum-dum-dum-DUM »)… Ses conférences elles-mêmes sont de véritables performances, parfois accompagnées de musique, de chants, de projections de silhouettes au fond de la salle. Tel étudiant se souvient notamment d’une intervention sur la mort, où Lingis parlait depuis un cercueil où il était étendu.
Ces nouveaux intellectuels américains vont peut-être contribuer à un « retour du refoulé » en France, une réinterprétation américaine, performative, de la pensée française des années 70, avec laquelle il nous appartiendra (il nous appartient aujourd’hui) de composer pour renouer un dialogue fécond.
Anna Street : Le nouveau champ de recherche international Performance Philosophy
Dans cette perspective, comprenant les multiples facteurs qui ont fait du mot « performance » le nouveau mot d’ordre de la pensée anglo-américaine contemporaine, il n’est pas étonnant qu’émerge actuellement un vaste réseau international de chercheurs au sein des études théâtrales, qui s’empare du lien entre la performance (ainsi entendue) et la réflexion philosophique. Ce phénomène, qui a vraiment pris de l’ampleur dans les 5 dernières années, s’appelle Performance Philosophy, et constitue le thème de multiples publications, colloques et groupes de recherche spécialisés.
Afin de vous donner rapidement un ordre de grandeur, plus de 600 chercheurs de toutes nationalités se sont réunis l’année dernière à Lisbonne, Guildford et Francfort, pour des colloques sur le lien entre la philosophie et les arts de la scène. Il s’agissait à l’origine de groupes de recherche formés au sein d’associations anglo-américaines d’études théâtrales (comme ASTR, TaPRA, et bien entendu, Performance Studies international), mais depuis 2012 existe l’association Performance Philosophy, propre à ce nouveau champ de recherche, qui a déjà atteint plus de 1000 membres. Une collection éponyme a été créée chez l’Editeur Palgrave Macmillan l’année dernière.
Je ne prétends pas vous dire ce soir que des rapports entre la philosophie et le théâtre n’existaient pas auparavant ou n’ont été inventés que dans les 5 dernières années. Depuis Aristote et d’Aristophane, des philosophes comme des dramaturges ont interrogé les rapports possibles entre leurs disciplines. Mais en général, la culture occidentale a considéré ces interrogations comme infructueuses et, pendant des siècles, les domaines de la poésie et la philosophie sont demeurés séparés.
Aujourd’hui, le champ de recherche Performance Philosophy n’a pas comme ambition d’habiter un espace interdisciplinaire entre la pratique et la théorie, ni de fusionner les disciplines des études théâtrales et de la philosophie pour en construire une hybride. Il ne s’agit pas d’aller puiser dans le théâtre des exemples de mise en scène de la philosophie comme tant d’illustrations d’une théorie. C’est précisément une telle approche – qui présuppose qu’une œuvre peut être entièrement réduite à une analyse conceptuelle – que les artistes ont toujours dénoncé. Cependant, le contre-argument, qui consiste à dire qu’une œuvre n’a aucun besoin d’être interprétée car ce qu’elle exprime n’appartient pas au langage philosophique, ne satisfait pas l’appel d’une œuvre (comme celles de Beckett) à être interprétée. C’est cette curieuse tension qui fait appel à la philosophie en même temps qu’elle lui fait résistance qui indique le besoin d’un nouveau modèle conceptuel.
Performance Philosophy se propose de formuler une perspective qui comprend l’acte de la performance comme une sorte de véritable réflexion en soi. Loin de simplement mettre en scène une théorie préconçue par l’artiste, à travers laquelle les critiques cherchent à déchiffrer les codes, Performance Philosophy entends l’engagement des spectateurs comme un geste proprement philosophique. Cela implique que penser ou réfléchir englobent tous les aspects de nos corps, autant physique que conceptuel. Cela implique aussi que la philosophie n’est donc pas uniquement un domaine théorique, mais également pratique. Ce nouveau champ cherche à faire reconnaître que souvent, la résistance d’une œuvre à une interprétation théorique est justement ce qui provoque tant d’interprétations et de réflexions et incarne donc mieux la tâche philosophique qu’une méthode purement théorique. Cf. Cull, Laura (2012) « Performance-Philosophy: The philosophical turn in Performance Studies (and a non-philosophical turn in Philosophy) »)
L’ancien préjugé contre le théâtre – qu’il ne peut qu’illustrer une théorie – tout comme le préjugé contre la philosophie – qu’elle ne peut qu’analyser des concepts – dénient aux deux leur capacité de création. C’est autour de cette idée de création – que la possibilité d’une théorie provient des expériences contingentes et corporelles – que l’on peut comprendre l’influence des post-structuralistes français. L’objection de la part des philosophes analytiques contre la philosophie dite continentale (en commençant avec Heidegger, qui a fini par se tourner définitivement vers la poésie jusqu’à Laruelle et son concept de la « non-philosophie ») est qu’en élargissant les limites de la philosophie jusqu’à y inclure les performances, les actes et les expériences, la philosophie ne veut plus rien dire, à force de tout vouloir dire. De la même façon, si nous voyons du théâtre partout, dans les rues, les églises, les tribunaux, et les jeux vidéo, que vont devenir les études théâtrales ? Si Shakespeare est philosophe et Platon dramaturge, comment protéger l’identité de nos disciplines ? Mais c’est précisément cette déstabilisation, non pas des disciplines, mais de l’autorité des disciplines qui correspond à la mise en question du texte par les post-structuralistes que nous évoquons depuis le début.
Il y a de plus en plus de raisons de penser que ce sont, au plan international, les études théâtrales qui mènent la charge en tendant à transformer les catégories universitaires traditionnelles. Confrontés à la mondialisation, à une nouvelle échelle d’échanges économiques et à l’avancement de la technologie, il semble difficile de ne pas admettre que nos façons de vivre, de faire de la recherche, et même nos façons de penser, ont changé. De plus en plus, on attribue des aspects vivants et anthropologiques aux forces non-humaines, en parlant de la performance du capital, de l’effet démocratisant du numérique ou des réalités virtuelles. Nous vivons dans un monde qui est de moins en moins dominé par l’autorité du texte.
La question aujourd’hui est de savoir comment différentes sortes de performances (non seulement théâtrales mais également technologiques, publicitaires, politiques et économiques) transforment nos façons de conceptualiser, ainsi que nos façons d’être. Grace, en grande partie, aux Performance Studies, une évolution de nos disciplines est en plein développement, entraînant, notamment, la mise en question de la philosophie à travers la performativité de la pensée et la pensée de la performativité.