« Théâtre, Performance, Philosophie : perspectives anglo-américaines » se donne pour mission d’évoquer la relation « théâtre & philosophie » selon une perspective anglo-américaines. Il se trouve en effet que considérer cette question du point de vue nord-américain (États-Unis) révèle l’existence d’un champ de recherche encore inexploré en France. La question du rapport entre théâtre et philosophie, tant d’un point de vue éthico-politique que d’un point de vue esthétique, structure notamment la pensée de nombreux grands philosophes américains contemporains : Stanley Cavell, Martha Nussbaum, Judith Butler, Avital Ronell, Simon Critchley (philosophe d’origine britannique enseignant à la New School de New York), et Alphonso Lingis, pour n’en citer que quelques uns.
Chacun de ces penseurs s’attache à cette relation théâtre/philosophie d’une façon différente: pour les premiers, comme Martha Nussbaum, Judith Butler ou Stanley Cavell, le théâtre devient la matrice, voire l’objet de pensée philosophique – que ce soit Shakespeare ou la tragédie grecque. Pour les seconds, comme Avital Ronell et Alphonso Lingis, le théâtre et la performance pénètrent le style d’écriture philosophique lui-même faisant naître un parler philosophique « autre » qui nous touche et nous provoque par sa différence.
Par ailleurs, nous avons constaté, d’un point de vue scientifique et académique, que ce champ de recherche était en pleine expansion aux Etats-Unis et en Angleterre, que des groupes spécifiques de recherche se forment et s’agrandissent (comme le « PSI Performance and Philosophy Working Group », le groupe international « Performance Philosophy », que des écoles d’été universitaires proposent des bourses aux étudiants et aux chercheurs pour travailler sur ce thème (à Harvard par exemple, la Mellon School of Theatre and Philosophy en juin 2012). Ce domaine de recherche s’élargit considérablement et commence à devenir lui-même un objet de référence: des enseignants-chercheurs comme Martin Puchner (Harvard) ou Laura Cull (University of Surrey) multiplient les publications et nous ont incitées personnellement à publier en France sur cette question.
Il nous a semblé que le LAPS devait également se faire le relais de cet essor interdisciplinaire et stimulant pour deux disciplines qui, il faut le dire, sont souvent en danger d’un point de vue académique. Les enjeux de cette relation vont donc bien au-delà de la recherche scientifique pure : cette question pourrait permettre de renouveler les formes d’enseignement de la philosophie par la mise en scène et la production d’une écriture créative, et d’enrichir le domaine théâtral d’une réflexion plus approfondie sur les problèmes concrets de la société contemporaine qu’il soulève : violence, surconsommation, vieillesse, guerres, questions de genre, crise familiale, valeurs morales etc.
Cet investissement par le théâtre des questions philosophiques – et le colloque à l’Ecole Normale Supérieure a montré que c’était également une préoccupation dans la philosophie française contemporaine – rafraîchit le parler philosophique et le rapproche d’un public probablement plus large et plus jeune: en effet, il est sans doute plus enthousiasmant d’entendre la Poétique d’Aristote sur scène, telle que la joue David Greenspan dans les écoles, les universités et sur de nombreuses scènes aux Etats-Unis, que de la lire de façon isolée. Ce point de vue, certes contestable, a le mérite de vouloir partager le questionnement philosophique par la scène et peut-être le pouvoir de le ré-enchanter.
De cette façon, le colloque de 2012 sur la philosophie française et le colloque de 2013-2014 sur la philosophie transatlantique permettent de mettre directement en dialogue ces deux « écoles » de pensée, si tant est qu’il y ait une école française et une école américaine. Non seulement, les chercheurs étudiants français pourront accéder directement à d’autres pratiques universitaires, mais aussi, pourront mesurer comment la philosophie française a renouvelé les formes de pensée aux États-Unis (nous pensons notamment au courant de la French Theory et de l’accueil toujours chaleureux des universités américaines à l’égard de Jacques Derrida, Michel Foucault…).
Liza Kharoubi, Flore Garcin-Marrou pour le LAPS
Ce colloque bénéficie du soutien de la Ville de Paris.
Plus d’informations sur le site du colloque :
Théâtre, Performance, Philosophie Colloque 2014