Notes de Flore Garcin-Marrou, à propos du séminaire LAPS 2011-2012

Mes recherches concernent depuis plusieurs années le lien entre le théâtre et la philosophie. S’est imposée à moi, bien vite, l’idée que le théâtre ne peut être seulement un objet de recherche purement théorique, mais engage nécessairement une pragmatique de ma part. La connaissance du théâtre est liée à l’expérience que l’on fait soi-même du théâtre : pour l’étudier, je veux/je dois en être une praticienne. Philosopher sur le théâtre nécessite que l’on fasse de la philosophie « de terrain », de la philosophie « en acte », de la philosophie « sur scène ». Même si le LAPS ne se revendique pas comme tel, notre démarche est proche de ce qui a été pensé par la philosophie pragmatiste américaine. Je fais référence notamment aux travaux de John Dewey, qui postule que toute connaissance doit s’enraciner dans l’expérience.

Avec Ismaël Jude, nous avons commencé à travailler au sein d’un premier laboratoire, le LPSP (Laboratoire des Pratiques Scéniques de la Philosophie) dès 2010. Nous avons travaillé, entre chercheurs spécialistes de la relation théâtre/philosophie, avec des comédiens, des musiciens autour de textes choisis de Platon, Hegel et Deleuze. Puis, dès 2012, nous avons voulu, au sein d’un nouveau laboratoire, nous consacrer à l’étude des concepts de Gilles Deleuze. Le LAPS organise un va-et-vient entre la scène et les concepts philosophiques et entend produire ainsi une véritable « philosophie de terrain ».

Pour comprendre un concept, il ne s’agit plus d’en avoir une idée abstraite, mais d’en faire l’expérience, par le biais de l’art, en particulier du théâtre : comprendre le concept en le portant à la scène. Ayant soutenu une thèse sur Deleuze, Guattari et le théâtre, j’ai voulu continuer à expérimenter autour de leur pensée. Notamment autour d’un couple de concepts qui me paraît éclairer leur relation au théâtre et qu’ils présentent comme antinomiques : l’intention et l’intensité.

Pour les deux philosophes, lorsque l’acteur joue un rôle en y mettant des intentions, il mobilise un jeu psychologique de type stanislavskien. C’est-à-dire que l’acteur motive chaque geste et chaque intonation par un sentiment.

Deleuze et Guattari considèrent le théâtre psychologique comme un théâtre traditionnel et bourgeois, qui ne tient pas en compte de la crise de la représentation : ce moment, que l’on situe à la fin du XIXe siècle, où le théâtre ne se borne plus à imiter le réel, à être une métaphore du monde. Un doute s’installe sur les qualités mimétiques du théâtre et l’on se met à penser le dépassement de ces qualités, et à pratiquer d’autres scènes : rituelles (Artaud), distanciées (Brecht), postdramatiques ou encore a-dramatiques.

Deleuze et Guattari pensent ce dépassement et formulent cette hypothèse : l’acteur ne doit plus jouer son rôle en mobilisant des intentions psychologiques, mais en interprétant un rôle selon des intensités.

Cette hypothèse est formulée dès Différence et répétition, mais elle est clairement exprimée dans un article que Deleuze écrit sur son rêve d’entendre le comédien Alain Cuny, lire l’Éthique de Spinoza :

Gilles Deleuze – « Ce que la voix apporte au texte… »

Qu’est-ce qu’un texte, surtout quand il est philosophique, attend de la voix de l’acteur ? Bien sûr un texte philosophique peut se présenter comme un dialogue : les concepts renvoient alors à des personnages qui les soutiennent. Mais plus profondément, la philosophie est l’art d’inventer les concepts eux-mêmes, de créer de nouveaux concepts dont nous avons besoin pour penser notre monde et notre vie. De ce point de vue, les concepts ont des vitesses et des lenteurs, des mouvements, des dynamiques qui s’étendent ou se contractent à travers le texte : ils ne renvoient plus à des personnages, mais sont eux-mêmes personnages, personnages rythmiques. Ils se complètent ou se séparent, s’affrontent, s’étreignent comme des lutteurs ou comme des amoureux. C’est la voix de l’acteur qui trace ces rythmes, ces mouvements de l’esprit dans l’espace et le temps. L’acteur est l’opérateur du texte : il opère une dramatisation du concept, la plus précise, la plus sobre, la plus linéaire aussi. Presque des lignes chinoises, des lignes vocales.
Ce que la voix révèle, c’est que les concepts ne sont pas abstraits. Les choses qui leur correspondent, ils les découpent et les recoupent de façon variable, toujours d’une nouvelle façon. Aussi les concepts ne sont-ils pas séparables d’une façon de percevoir les choses : un concept nous impose de percevoir les choses autrement. Un concept philosophique d’espace ne serait rien s’il ne nous donnait une nouvelle perception de l’espace. Et aussi les concepts sont inséparables d’affects de nouvelles manières de sentir, tout un « pathos », joie et colère, qui constitue les sentiments de la pensée comme telle. C’est cette trinité philosophique, concept-percept-affect, qui anime le texte. Il appartient à la voix de l’acteur de faire surgir les nouvelles perceptions et les nouveaux affects qui entourent le concept lu et dit.
Quand la voix de l’acteur est celle d’Alain Cuny… C’est peut être la plus belle contribution à un théâtre de lecture.
On rêve de l’Éthique de Spinoza lue par Alain Cuny. La voix est comme emportée par un vent qui pousse les vagues de démonstrations. La lenteur puissante du rythme fait place ici et là à des précipitations inouïes. Des flots, mais aussi des traits de feu. Ce qui se lève alors, ce sont toutes les perceptions sous lesquelles Spinoza nous fait saisir le monde, et tous les affects sous lesquels saisir l’âme. Un immense ralenti capable de mesurer toutes les vitesses de penser.

Gilles Deleuze, Deux régimes de fous, textes et entretiens 1975-1995, Paris, Les Éditions de Minuit, 2003, p. 303-304.

Si l’enregistrement d’une telle lecture n’a jamais été faite, on peut y rêver en écoutant Alain Cuny lire un extrait de Van Gogh ou le suicidé de la société d’Artaud.

Les concepts ont des vitesses et des lenteurs, des mouvements et des dynamiques. « Ils ne renvoient plus à des personnages, mais sont eux-mêmes des personnages rythmiques » se complétant, se séparant, s’affrontant, s’étreignant comme des lutteurs. La voix trace des rythmes, des mouvements de l’esprit dans l’espace et le temps. L’acteur est opérateur du texte. Il opère une dramatisation du concept la plus sobre et linéaire : des lignes chinoises, vocales. Les concepts ne sont pas des abstractions : par exemple, un concept d’espace fait appréhender une perception de l’espace.

Je veux alors explorer l’affect du concept.

Le LAPS me permet alors d’expérimenter sur scène ce changement de paradigme, entre intention et intensité.

1/ Travailler sur un texte poétique

Une première expérimentation, à partir de la poésie sonore

Damien Schultz, poète sonore, a été le centre de ma première expérimentation. La poésie sonore est l’œuvre d’un acteur interprétant un texte, sans l’incarner, mais en faisant sentir les rythmes, en traitant le texte comme un matériau sonore plutôt que comme un texte à incarner. Le matériel textuel choisi est celui du poète sonore : un texte, intitulé « Peggy Sue », que Damien a performé à La Fermeture Eclair de Caen, en décembre 2011.

« Peggy Sue. Peggy Sue devant son miroir. Peggy Sue deux fois. Peggy Sue deux fois. Et entre les deux Peggy Sue une infinité de Peggy Sue… »

L’interprétation de Damien Schultz repose sur la répétition anaphorique du prénom de l’héroïne, qui peut être inspirée du hit rock’n roll de Buddy Holly, enregistré en 1957. Le tube de Holly est bâti comme une ritournelle facile à retenir, suivant une structure couplets/refrain. Le rythme est différent chez Damien Schultz : il joue sur des distorsions du temps, par la répétition. On comprend vite que cette Peggy Sue est un personnage métaphorique qui désigne la structure même du poème : « Peggy Sue est de retour en spirale », « Peggy Sue est un ruban de Moebius ». Et même si « Peggy Sue sera toujours identique à elle-même », c’est bien de sa répétition, que naît la différence, la distorsion. Peggy Sue semble avoir des accointances avec le Deleuze de Différence et répétition ! La répétition amène Damien Schultz à dire le texte de façon intensive et non intentionnelle : les mots deviennent des intensités, des rythmes, des sonorités. Les mots deviennent matière musicale. On ne s’attache plus seulement qu’au sens, mais on devient plutôt surpris d’entendre jaillir un nouveau sens, plus profond, grâce au traitement bien particulier de la forme : la mise en boucle de syntagmes.

Certains diront que la poésie sonore n’est plus du théâtre, qu’elle tient davantage du théâtre radiophonique puisqu’elle ne mobilise que la voix de l’acteur… Certains reprocheront aux poètes sonores de ne pas être aussi corporellement engagés qu’un acteur interprétant un rôle de fiction. Mais si l’on est attentif au corps de Damien, debout, devant son pupitre, on ne peut se résoudre à ces remarques. Qu’est-ce que la poésie sonore nous dit-elle du théâtre ? De quels théâtres évoquent cette voix et ce corps ?

Ma première hypothèse est que la voix du poète sonore fait surgir un théâtre deleuzien. Ce type de théâtre se déploie à partir de la voix. Expérimenter autour de cette voix me permet de comprendre les intensités qui traversent le champ d’immanence. La scène deleuzienne est une scène qui échappe au diktat phénoménologique, une scène qui devient intensive et qui passe outre l’impératif de la représentation.

Deuxième expérimentation : traiter un texte comme une partition musicale

Pour éprouver les différentes dynamiques intensives du texte, ma deuxième expérimentation m’amène à convoquer d’autres acteurs. Je teste la polyphonie de voix, leur entrecroisement. Raffaella Gardon travaille sur le chuchotement, tel un sous-texte, ou comme des arrière-pensées qui ne seraient pas encore articulées. Arnaud Carbonnier émet une voix qui double la voix de Damien : une voix qui émet des doutes sur ce que dit la voix principale, une voix de commentaire, une voix sensible. A la fin de cette première expérimentation, on pressent de quelle manière un texte peut devenir une partition musicale.

J’évoque alors la passion de Gilles Deleuze pour le poète roumain Ghérasim Luca et son commentaire du poème « Pas passionnément ».

 
Deleuze le cite comme interprète essentiel du bégaiement créateur de la langue.

Si la parole de Ghérasim Luca est ainsi éminemment poétique, c’est parce qu’il fait du bégaiement un affect de la langue, non pas une affection de la parole. C’est toute la langue qui file et varie pour dégager un bloc sonore ultime, un seul souffle à la limite du cri JE T’AIME PASSIONNÉMENT.
“Passioné nez passionnem je
Je t’ai je t’aime je
Je je jet je t’ai jetez
Je t’aime pasionnem t’aime »

(G. Deleuze, CC, p. 139 ; MP, n. 25, p. 123, 124, 168)

Ghérasim Luca écrit des « théâtres de bouches » qui rappellent la bouche surgissant de l’obscurité dans Pas moi (1977) de Samuel Beckett. Cette communauté de pensée entre Luca et Deleuze est tout à fait symbolique du rapport que Deleuze entretient avec le théâtre : il le tient à distance, mais apprécie les formes nouvelles qui ne cessent de s’échapper du cadre théâtral traditionnel.

Deleuze se tourne vers les formes théâtrales qui tendent vers toujours plus de désincarnation, toujours moins de représentation. À partir des années 1980, Deleuze aura une relation avec un théâtre pris dans des formes hybrides : que ce soit avec la poésie sonore, le cinéma ou encore, l’opéra. Il assumera un goût pour le théâtre de lecture, dont le propre est de se passer définitivement de la représentation.

Troisième expérimentation : l’italien, une langue intensive ?

L’italien est à part entière pour Deleuze une langue mineure, intensive, à variabilité continue (Superpositions, p. 100). Selon lui, un acteur qui lit l’italien, joue par intensité ; la langue italienne lui apparaissant comme la langue intensive par excellence.

La comédienne Raffaella Gardon lit alors un extrait en italien de l’adaptation du Manfred de Byron par Carmelo Bene.

Ecco, si spegne il lume. Nuovamente
m’è forza rianimarlo, anche se certo
morrà di nuovo prima del mio tempo
d’insonnia… Il sonno mio – pure io dormiente –
non è sonno: è continuo (un) pensiero
ostinato
e gli occhi miei si chiudono
solo a guardarmi dentro…
Eppure io vivo. Ho l’aspetto la forma
il respiro degli uomini viventi…
Sapere è patire. Sventura
è la scienza. Coloro che più sanno
più amaramente devono
piangere il vero fato:
l’albero della scienza non fu mai
l’albero della vita.

Filosofia Meravigliosa Scienza
Conoscenza del mondo Idee sovrane
tutto provai. Tutto compresi e tutto
abbracciai col mio genio. A nulla valse.
Vano fu il tutto. Ho aiutato gli uomini
E qualcuno perfino mi aiutò.

Pour beaucoup d’entre nous, qui ne comprenons pas l’italien, notre compréhension ne se situe pas au niveau du sens logique, mais nous nous contentons d’en éprouver la musicalité, la rythmique, l’intensité.

L’usage intensif de la langue passe par des difformités syntaxiques et phonologiques : le bégaiement, le chuchotement, le murmure, des séries de lignes mélodiques, d’enchaînements de phonèmes.

Le théâtre, selon Deleuze, doit s’approcher d’un nouveau théâtre de la langue intensive, qui se passe de l’impératif de la vraisemblance ou de la représentation, et qui se concentre sur son état de langue en devenir, qui laisse entendre sa constitution en tant que continuum, fait d’éléments en variations, régressions, renaissances, lignes de fuite.

En 1980, Gilles Deleuze assiste à la première du Manfred-Carmelo Bene à la Scala, inspiré du poème dramatique de Robert Schumann à partir du drame en vers de Lord Byron (1817). Deleuze écrit un texte sur le spectacle, qui paraît dans le livret accompagnant l’enregistrement du spectacle du 1er octobre 1981 à la Scala : « Manfred : un extraordinaire renouvellement » (DRF, p. 173-174).

Deleuze salue la capacité de Bene à faire un théâtre de la langue en devenir, notamment en doublant sa voix d’une voix off, qui chute et qui monte, comme dans une partition musicale. Bene rend intensive sa propre voix, sa propre langue.

Bene est l’« opérateur » qui assure, à lui seul, la représentation. Retravaillant la partition de Schumann en alliant le parlé (le sprechgesang), les soli, le choeur mixte et les parties pour orchestre, il compose une écriture polyphonique qui fonde « un nouveau rapport, actif, avec la musique ». L’omniprésence du sonore devient la condition de surgissement de l’image. Le texte est poussé vers ses limites les plus abstraites, de sorte qu’il devient musical.

Avec ces trois premières expérimentations, je comprends alors concrètement la différence, au sein du jeu de l’acteur, entre le jeu d’intention et le jeu d’intensité.

2/ Travailler sur un texte philosophique.

Dire/jouer L’Ethique de Spinoza

Lors de ma deuxième série d’expérimentations, je décide de tester ce même couple de concepts différemment. Je ne prends plus comme appui des textes littéraires, mais des textes philosophiques. Je veux tester le rêve que Deleuze exprime dans un texte « Ce que la voix apporte au texte ».

Entendre L’Ethique de Spinoza, lue par des comédiens.

Qu’est-ce qu’un texte philosophique peut-il attendre de la voix d’un acteur ?

La voix permet d’appréhender le concept, non pas seulement sur un plan logique et rationnel, intellectuel, mais aussi dans ses qualités intensives : les concepts ont des rythmes, des vitesses et des lenteurs.

De sorte que l’on a accès aussi à l’affect de la pensée, à ses variations intensives, qui sont comme un sous-texte sensible au propos philosophique.

Pour Deleuze, la philosophie s’exprime nécessairement par le biais d’une « dramatisation » des concepts, eux-mêmes « personnages rythmiques ». Lorsque deux concepts viennent à s’opposer, ils s’opposent comme deux personnages entrent en collision.

L’Ethique de Spinoza a une structure très particulière : son « ordre géométrique » expose les idées le plus rigoureusement possible. Chaque proposition est traversée de multiples jeux de renvois, qui font de la lecture du texte un véritable parcours « dont on est le héros ». On est spectateur d’une véritable circulation dans la pensée de l’auteur. Une circulation intensive, dont j’aimerais comprendre la nature.

Pour ce faire, cinq acteurs se partagent l’extrait que j’ai choisi (la Proposition XIII) et les jeux de renvois, selon une distribution que j’ai choisie préalablement :

Acteur 1 : Proposition XIII (p. 148, de l’édition GF, Flammarion, 1965)
Acteur 2 : Démonstration de la proposition XIII
Acteur 3 : Proposition XII (p. 147)
Acteur 4 : Proposition XVII (p. 93)
Acteur 5 : Proposition IX (p. 228)
Acteur 6 : Corollaire de la Proposition XIII
Acteur 7 : Scolie de la Proposition XIII

Voilà le document à partir duquel les acteurs travaillent :

Dès la première lecture, j’entends que le texte de Spinoza est effectivement une polyphonie intensive. Que le concept, par la voix, s’accompagne d’affects. Et que le concept n’est étranger ni à la voix qui l’exprime, ni au corps qui le porte. En somme, il y a bien une incarnation et une dramatisation de la philosophie.

Les idées se traduisent par des augmentations ou des diminutions de puissance – et non par un pur raisonnement logique. Tester cette dramatisation en acte et sur scène permet de rendre compte de l’organisation d’une pensée, différents lieux de temps de soi ; une pensée articulée à un corps, une pensée qui se formule comme des zones de flux.

De cette façon, je comprends, j’éprouve l’intensité selon Deleuze : la philosophie ne peut se contenter de ne faire qu’attention au sens du texte, mais elle engage à s’ouvrir à une réception affective d’elle-même.

Mettre en voix « Un seul ou plusieurs loups ? »

Une deuxième expérimentation porte sur un extrait du deuxième plateau de Mille Plateaux : « 1914. Un seul ou plusieurs loups ? ». Je veux tester si une lecture intensive se prête à la philosophie de Deleuze elle-même.

Pourquoi avoir choisi précisément ce texte ? Il a la particularité d’alterner des passages de démonstration logique (critiquant l’interprétation freudienne du cas de « L’Homme aux loups » exposé dans les Cinq psychanalyses de Freud) et des passages intensifs, affectifs, tirés d’un rêve que le personnage de « Franny », qui vient de surgir dans la démonstration philosophique, raconte.

A peine a-t-il découvert le plus grand art de l’inconscient, cet art des multiplicités moléculaires, que Freud n’a de cesse de revenir aux unités molaires, et retrouver ses thèmes familiers, le père, le pénis, la castration…, etc. (Tout près de découvrir un rhizome, Freud en revient toujours à de simples racines).

(…)

Franny écoute une émission sur le loups. Je lui dis : tu voudrais être un loup ? Réponse hautaine – c’est idiot, on ne peut pas être un loup, on est toujours huit ou dix loups (…). Pour atténuer la sévérité de sa réponse, Franny raconte un rêve : « Il y a le désert. Là encore ça n’aurait aucun sens de dire que je suis dans le désert. C’est une vision panoramique du désert, ce désert n’est ni tragique, ni inhabité (…). Là-dedans, une foule grouillante, essaim d’abeilles, mêlée de footballeurs ou groupe de touaregs. Je suis en bordure de cette foule à la périphérie ; mais j’y appartiens, j’y suis attachée par une extrémité de mon corps, une main ou un pied ». MP, p. 41.

Le procédé est répété tout au long du plateau : succède à la problématique philosophique (par exemple, p. 42, le problème du peuplement de l’inconscient), des images intensives de la pensée qui ne sont pas des métaphores, qui sont à comprendre de manière littérale :

Une multiplicité de pores, de points noirs, de petites cicatrices ou de mailles. De seins, de bébés et de barres. Une multiplicité d’abeilles, de footballeurs et de touaregs. Une multiplicité de loups, de chacals… MP, p. 42.

La philosophie de Deleuze et Guattari n’est pas seulement une philosophie du concept. Ceci est entendu. Mais qu’est-ce que l’expérimentation théâtrale est-elle à même d’apporter pour mieux comprendre cette problématique ?

Le théâtre permet d’expérimenter littéralement (nous nous référons aux interprétations de F. Zourabichvili sur la littéralité à l’oeuvre chez Deleuze) l’affect de la pensée, les idées étant traitées comme des lignes, des surfaces, des solides, prises dans des augmentations ou des diminutions d’une puissance d’agir.

L’expérimentation s’achève ici, inachevée.


Articles qui pourraient vous intéresser :


Cet article a été publié dans Gilles Deleuze et la scène (2011-2012) avec les mots clés , , , , , par Flore Garcin-Marrou.

Pour citer cet article : Flore Garcin-Marrou, "Notes de Flore Garcin-Marrou, à propos du séminaire LAPS 2011-2012", Labo LAPS 2012. URL : https://labo-laps.com/notes-de-flore-garcin-marrou-a-propos-du-seminaire-laps-2011-2012/

A propos Flore Garcin-Marrou

Flore Garcin-Marrou est docteur en littérature française (Université Paris 4 – Sorbonne). Elle a enseigné les Études théâtrales à la Faculté libre des Sciences humaines de Lille et à l’Université Toulouse Le Mirail. Sa thèse s’intitule "Gilles Deleuze, Félix Guattari : entre théâtre et philosophie". Elle est l’auteur d’articles sur le théâtre au carrefour des sciences humaines. Elle est également metteur en scène de sa compagnie "La Spirale ascensionnelle" et poursuit un travail d’expérimentation théâtrale au sein du Laboratoire des Arts et Philosophies de la Scène (LAPS).