Comment exposer la marionnette ?

Lors de la résidence du Labo LAPS à l’Institut International de la marionnette de Charleville-Mézières, Aurélie Rezzouk a été en charge d’un atelier intitulé « Le temps du musée ». A partir des discussions des participantes sur les textes présentés, elle a proposé un atelier de réflexion participative sur l’idée d’exposer la marionnette. Voilà le texte du compte-rendu de ses investigations, bases d’un projet en cours appelé à être développé en 2015-2016.

L’articulation entre l’approche philosophique de la marionnette au principe de cette résidence et les questions muséologiques et muséographiques soulevées par un projet de musée des arts de la marionnette peut être envisagée sous une double perspective.

La première, assez didactique, serait celle de la conception d’un « musée idéal de la marionnette », le terme « idéal » étant à entendre tout à fait littéralement : en partant de l’idée, et non d’une collection préexistante. On peut envisager d’user d’une approche « philosophique » pour œuvrer à circonscrire et à définir des entrées thématiques, des problématiques autours desquels structurer un propos cohérent sur la marionnette, dans un espace muséal ; cela reviendrait  à élaborer une liste, une série de « concepts » qui nous paraîtraient opératoires pour soutenir un discours sur/pour penser la marionnette et à les soumettre dans un second temps à l’épreuve des collections (réelles ou idéales) et des contraintes muséales. Ces concepts seraient d’abord à définir dans le cadre d’une philosophie de la scène, et permettraient de circonscrire les spécificités de l’art de la marionnette au sein des arts du spectacle vivant – en termes de « scène », de « présence », de « représentation », de « manipulation », de « vivant », etc. Du « concept », il serait ensuite question de la déclinaison en thème/propos : de quoi devrait-on parler (quels objets, quelles pratiques, quelles matières et quels documents) et qu’en dirions-nous ?

Définir ainsi notre projet de réflexion suppose que la mission que nous nous sommes proposés est bien de faire de ce  musée encore imaginé un espace de discours et de pensée (de sa visite, un événement de dialogue et de pensée). Et qu’à ces savoirs, cette pensée, nous attribuons une fonction, une valeur dans la pratique culturelle, ce qu’il va nous falloir également examiner: savoir quelque chose de la marionnette, penser la marionnette, à quoi ça sert ? Quels usages allons-nous, de cette pensée – de ces savoirs – proposer au visiteur ? Ce qui génère, aussitôt, une seconde perspective de réflexion : si, dans un musée de la marionnette, on présente telle entrée, telle question, tel concept, comme « essentiel » (relevant d’une essence » de la marionnette et/ou nécessaire à sa pratique, comme artiste ou comme spectateur), que fait-on précisément à l’art de la marionnette? Qu’infléchissons-nous dans les pratiques de réception, de création, de réflexion ? Quelles valeurs, quelles pratiques légitimons-nous ? Que générons-nous, que confirmons-nous comme attentes, à la fois pour le visiteur, et au regard d’une pratique de spectateur, et/ou comme possibilité de penser de nouveaux possibles, de nouveaux besoins ?

Et dès lors, en termes stratégiques, nous serions amenés à réfléchir à la façon dont l’espace muséal pourrait agir dans cette même perspective : quels dispositifs pourrait-on mettre en place pour amener les visiteurs (des spectateurs, des non-spectateurs) à se poser ces questions – et œuvrer ainsi à une pratique philosophique de la visite, plus qu’à un discours, fut-il philosophique, de plus?

Il s’agirait donc de concevoir le musée comme un espace où penser une pratique contemporaine à partir d’un patrimoine, et non comme le lieu de la transmission unilatérale de savoirs dont l’intérêt pour nous (les visiteurs) serait laissé implicite (une culture comme distinction ou comme distraction). Comment de ce fait, articulons-nous le patrimoine, les collections, les répertoires historiques avec la création, celle d’aujourd’hui, celle de demain ? Et, enfin, quel est le projet esthétique, politique, qui se cache derrière notre propos, ou qui l’inspire, ou le légitime, ou le dynamise ?

Il s’agirait en conséquence – et c’est là l’enjeu de notre résidence – de penser le glissement, ou la continuité, des « questions essentielles » à poser à propos de marionnette, ou encore à la marionnette, à celles que la marionnette (art, pratiques, objet) nous poserait – questionnements qui légitimeraient à rebours ce parti d’aborder la marionnette par la philosophie, et inversement ; c’est la seconde perspective qu’il conviendra d’explorer. Nos lectures de textes philosophiques tendent à montrer que la marionnette y œuvre d’abord de façon métaphorique, en tant qu’elle permet de manifester et de questionner quelque chose de notre rapport à notre propre corps, à la nécessité, au libre arbitre, au politique, à la machine, au monde. Penser la chute et la grâce, l’utopie, le comique ou grotesque de la marionnette, par la marionnette, c’est aussi ouvrir un questionnement métaphysique, esthétique, politique, qui « dépasse » la marionnette – ou plutôt, partager quelque chose de ce qui la caractérise : une forme de performativité philosophique.


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