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Mail d’Alain Badiou à Claire Fercak. 20 février 2011

A propos de Rideau de verre :

« Je peux déjà dire que votre écriture est comme un oxymore complexe, d’abord des deux voix, très différentes, ensuite, à l’intérieur de votre propre voix, d’une sorte de juxtaposition de la puissance imaginaire et d’une sorte de sourde brutalité, qu’on entend du reste dans tout ce que vous écrivez. C’est cet oxymore qui vous constitue littérairement.

Il y a une différence, au vrai totale, entre votre procédure d’écriture et « l’autofiction ». Ce qui à mon sens vous caractérise, c’est l’installation de l’écriture, non dans un régime (dans l’homogénéité d’un style), mais dans un écart. Cet écart, justement, tient à l’un de ses pôles (et rejette) le matériau biographique comme impératif de la fiction, et tient à l’autre pôle (et rejette) la mythologie d’un lyrisme purement objectif. Je dirais aussi que l’impersonnalité de l’écriture s’établit pour vous, non par soustraction (à la Mallarmé (le Maître est allé puiser des pleurs au Styx), ni par saturation (à la Proust, l’omniprésence du Narrateur finit par dissoudre la singularité du Moi dont il provient), mais par l’écart institué entre le deux. Pour obtenir cet écart, il faut que votre fiction propre entrelace sans choisir des lambeaux biographiques que je dirais « éteints » et des référents mythologiques, musicaux, métaphoriques, extérieurs, que je dirais « soumis ». D’où un effet d’oxymore, car ces deux modes d’écriture sont en principe inconciliables. Le chemin de votre prose est cette contradiction entre extinction du Moi et soumission du Mythe. »

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